dimanche 11 mai 2008

Entretien réalisé, en avril 2008, par Pascal Raynaud, responsable de la programmation de l’Auditorium de Louvre avec Jacques Poitrat, chargé de mission Arte France, producteur exécutif du projet Intolérance 2007

– Comment est né le projet de re-production d’Intolérance ?

C’est en mai 1996 que j’ai retrouvé Jacques Robert (†1997), compagnon de route de la Quinzaine des Réalisateurs et du Festival Cinématographique International de Paris. Représentant en France de Raymond Rohauer (†1987), après avoir présenté en ouverture du Festival de Cannes 1982 la première restauration d’Intolérance, ils avaient, avec le concours de Patrice Chéreau et Catherine Tasca, alors à la direction du Théâtre des Amandiers de Nanterre, commandé, en 1985, à Antoine Duhamel et Pierre Jansen une partition originale pour ce monument du cinéma. Leur Suite symphonique pour Intolérance avait alors, grâce à l’Orchestre National d’Île de France, bénéficié d’une prestigieuse série de ciné-concerts : Les Amandiers, Avignon, Villa Médicis, etc. Depuis peu en charge du Muet du Mois sur Arte, et soutenu en cela par Pierre-André Boutang, j’ai engagé des pourparlers en vue de l’enregistrement de cette merveilleuse oeuvre avec une ambition : l’adaptation de la composition de nos deux grands compositeurs français à la reconstruction réalisée en 1990 par le Museum of Modern Art de New York.

– Quelles en ont été les principales étapes ?

J’ai rapidement pris connaissance de ce qui allait devenir ma bible : l’article de Russell Merritt[i]. Il en ressortait que la meilleure option serait de travailler sur la version dite « Venezuela ». J’ai donc demandé au Danish Film Institute l’accès à la copie nitrate #3, teintée, de 1917, en provenance, en 1954, de la Griffith’s Collection conservée à la Lloyd’s Storage Company, via la George Eastman House. C’est seulement en avril 2005, grâce à Andreas Schreitmüller, que le projet est devenu officiellement un projet Arte, avec diffusion en « prime time ». Entre temps, diverses options, tant de version que de technologie mise en oeuvre, avaient été abandonnées. Finalement, grâce à l’association du Danish Film Institute et de ZZ Productions, avec le concours de DIGimage et l’indispensable participation d’Arte France et de l’ONDIF, c’est la version « digitalcinéma » de Suite symphonique (version 2007) pour 1917-Director’s cut de DW Griffith’s Intolerance qui a été présentée en première mondiale en pré ouverture de la 64e Mostra de Venise à l’automne 2007, avant d’être diffusée en « prime time » le 11 septembre 2007, sur Arte[ii].

– Quels critères ont guidé le choix des teintes ?

Alors que la cadence du film a finalement été uniformisée à 18 images par secondes (comme à la prise de vue, excepté, en partie seulement, pour la « Modern Story », The Mother and the Law) et que les cartons intertitres ont tous été restaurés à l’identique et normalisés, seules les teintes ne peuvent être intégralement dites d’origine (ce qui est rarement le cas). À notre plus grand regret comme à celui de nos amis danois d’ailleurs, aucune trace des teintes de la copie nitrate de 1917 n’avait été conservée après sa sauvegarde en 1960. Ma première démarche a consisté à tenter (le plus souvent en vain) de retrouver dans la densité des gris des images 2K des équivalences entre les séquences teintées. La comparaison de diverses versions accessibles n’apportant pas d’unicité, et l’usage de teintes affadies ou virées (courantes dans les copies sauvegardées sur la base de la version de 1926) n’étant pas envisagé (bien au contraire, la chroma des teintes d’époque a été recherchée), j’ai donc envisagé les couleurs en me référant au texte de D.-W. Griffith : « I do not believe that the reproduction of natural colors is often desirable… »[iii].

Intolérance sera présenté, par l’ONDIF, en ciné-concert, au Théâtre du Chatelet, le 26 janvier 2009.



[i] - Russell Merritt, « D. W. Griffith’s Intolerance /

Reconstructing an Unattainable Text », Film History,

1990, Vol. 4, pp. 337-375

[ii] - 340 970 téléspectateurs français (et 71 000

allemands) l’auraient regardé (Source : Médiamat /

Mediamétrie ; cible 4 ans et plus)

[iii] - D.-W. Griffith, « Written on the Screen », The

New York Times, 10 déc. 1916

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